lundi 25 octobre 2010

Josette à la montagne


"Randonnée à Bessans (Haute Savoie)

Passant le col à 2200 mètres d’altitude, je m’engage, à pied, dans la vallée de Bessans au détour d’un virage. Je découvre un petit troupeau de vaches rousses et blanches paissant tranquillement au pied d’une falaise de schiste argenté, dans un repli humide du terrain, tapissé de fleurs d’arnica jaune d’or. Devinant l’heure de la traite, le museau dans la verdure, elles s’approchent nonchalamment du petit chalet d’alpage semi enterré dans la pente douce. Les plaques de lauze de sa toiture contrastent à peine avec les bidons d’aluminium, luisant au soleil d’été, seul indice de la vie pastorale. Rassurée par tant de quiétude, j’entame la descente du col en suivant le sentier séculaire le long duquel des générations de bergers ont bâti leur chalet familial de pierres sèches, abandonnés à présent, à la loi des saisons et du temps.

J’admire au passage, certains murs de pierres sèches, disposées en épis et en quinconce par un berger patient et persévèrent, laissant une signature qu’aucun autre n’oserait démolir. Contrastant avec la sobriété et la rudesse des murs de pierre bleutée et gris pâle, du lichen orangé s’étale ici ou là, comme si un peintre négligeant était venu essuyer son pinceau.

Plus loin dans la descente, dans le prolongement de la pente qui surplombe la vallée de l’Arc, une toiture de lauze solidement charpentée et fraîchement restaurée se campe juste à mes pieds. Très admirative de l’immense surface plane de pierres savamment juxtaposées, brûlantes au soleil de midi, je suis éblouie par la hardiesse de son implantation en balcon, face au glacier du Charbonnel, à la fois lointain et proche, qu’elle semble défier, solidement agripée et dissimulée aux regards indiscrets. Les portes en bois de mélèze aux reflets argentés et rouges, ridées par le soleil et le gel, sont cadenassées et attendent le propriétaire qui ne devrait plus tarder, le mois du juillet étant bien entamé. J’imagine les joies simples et intenses de ceux qui vivent quelques semaines entre le ciel et la montagne, avec vue panoramique sur le lever de soleil sur les cîmes italiennes, abreuvé par l’eau de la source, dormant loin des bruits et des ondes électromagnétiques des villes.

Avant d’atteindre le torrent qui dévale la forêt de mélèze, je longe un champs de trolles contrastant avec le paysage minéral, par leurs feuillages d’un vert franc et luisant et leurs grosses boules jaune d’or de leurs corolles. Quel horticulteur a pu lancer une telle production, loin de toute civilisation ? La nature elle-même.

La promenade se poursuit dans un marécage, où les chevelures blanches et cotonneuses des linaigrettes dansent dans la brise légère. La douceur et la finesse impalpable de la fibre me laisse imaginer pourquoi les ancêtres en garnissaient leur vêtements d’hiver pour avoir chaud.

Soudain, au détour d’un dédale rocheux hérissé de pics, je découvre la vallée de Bessans, large plaine verdoyante, couverte de prairies enchâssées entre les mélèzes. Très étendue, elle a l’air ravi d’être traversée par les torrents de l’Arc, de l’Avérole et du Ribon serpentant au pied des pentes abruptes couvertes de forêts de mélèzes sombres. Plus haut, les alpages vert tendre surplombent le site, pour devenir des sommets minérals recouverts de neiges éternelles, espace mystérieux pas toujours visibles d’en bas. A cette altitude, je peux admirer tous les étages alpins qui se déploient face à moi, sur la pointe de Tierce, la montagne la plus triangulaire qu’il fut donné de voir.

Chaque année, en été, un miracle se produit au fond de la vallée incroyablement plate car les alluvions d’un ancien lac l’a rendu très fertile. Ici, pousse généreusement le meilleur foin de tout l’univers, des fleurs de toutes sortes, atteignant un mètre de hauteur. Les habitants en font du fourrage pour le bétail massé tout l’hiver dans les étables. C’est une symphonie prodigieuse de couleur et d’odeur qui orchestre la vie de la vallée : c’est aussi un travail éreintant consistant à couper, faire sécher et engranger les précieuses plantes concentrées de vie, pendant le court été.

Mon sentier m’amène à un massif de joubarbes agrippé à un rocher gris pâle piqueté de mousses brunes et de lichen gris foncé.. Les tiges bordeaux projettent des fleurs étoilées d’un rose vif et fuschia, jaillissant d’un coussin de bourgeons duveteux vert tendre et très décoratif. Plus bas, quelques pierres fendillées par le gèle, cohabitent avec du serpolet-thym mauve parfumé, accompagné de petites fleurs jaunes citron, délicate composition.

Je poursuit ma marche en traversant un jardin alpin ponctué de fiers chardons mauves, de trèfles et d’œillets roses guillerets, de fétus violacés pointus vibrant sous le vent, d’ail violet odorant, de clochettes bleues, timides et barbues, d’arnica jaune rayonnants et de thé suisse blanchâtre au feuillage dentelé vert foncé, très distingué.

Enfin, je pénètre dans un sous-bois en suivant un sentier abrupte mais bien tracé à travers les troncs de mélèzes torturés.

Les hautes herbes fines et tendres estompent le paysage. Dans le flou environnant, j’entrevoie une famille de lys Martagon dont la corolle mauve, épaisse et lourde, ploie vers le sol, à peine visible sous les ombrages mouvants. La rosée perle sur les pétales charnus tandis que les étamines oranges frissonnent dans la brise.

Quittant l’ombre pour la lumière, je traverse la prairie incontournable qui entoure le village de Bessans. Les maisons sont rassemblées avec humilité au pied de l’église Saint Jean-Baptiste surplombant le village, du haut d’un petit ravin, entre le torrent et le cimetière. Son clocher couronné de pics taillés dans la pierre calcaire a l’air sévère et solide. Les habitations se serrent pour laisser les prairies donner toute leur richesse. Leurs humbles façades sont aménagées de séchoir où le fumier, taillé en brique, fournira un combustible précieux en hiver, pour remplacer le bois si rare. La chapelle saint Antoine et d’autres plus modestes, sont décorées de scène bibliques colorées, qui ont résisté aux quatre cents dernières années. Les fresques se lisent telles une bande dessinée et la qualité artistique est remarquable, témoignant d’un passé resplendissant, faisant l’admiration des touristes, qui, pour la plupart demeurent très fidèle à cette vallée qui a su conserver son authenticité." (texte de Josette Bonnet)

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